Retourner à l’école? Oui, mais pourquoi?

Plusieurs jeunes que je rencontre dans le cadre de mon travail ont décroché de l’école. Certains d’entre eux ont tenté plus d’une fois d’y retourner, mais s’ils ont intégré la mesure Départ@9 [i], c’est que la plupart n’y sont pas encore arrivés seuls. « Tu perds ton temps! », « Tu ne réussiras jamais à faire un métier que t’aimes sans ton diplôme d’études secondaires! »,«C’est pourtant pas compliqué d’être assis dans une classe! » ne sont que quelques exemples des critiques virulentes que ces jeunes reçoivent de leurs proches. Et vous n’avez pas idée comment la plupart appréhendent le temps des fêtes où ils doivent se taper les mêmes sermons des oncles et tantes qui croient soudainement avoir eu LA bonne approche.

Évidemment, certains font le choix pleinement assumé de quitter l’école pour se trouver un emploi prétextant ne pas être en mesure d’obtenir ce qu’ils désirent dans le système scolaire actuel, alors que d’autres reconnaissent qu’ils n’ont pas et n’auront possiblement jamais les aptitudes requises pour assimiler la matière enseignée. Ceux-là comprennent bien que l’acharnement n’a pas toujours sa place et qu’il est parfois plus sage de choisir une autre avenue plus adaptée à leur réalité et éventuellement plus satisfaisante que la poursuite des études. Peut-on blâmer un sportif mesurant 5 pieds 7 pouces de choisir la course à pied lorsque tous ses amis jouent au basketball? (J’avoue, j’en ai déjà trouvé des meilleurs, mais bon!)

Quel est le problème alors pour ceux qui ont ce potentiel d’avancer sur le plan scolaire, mais qui n’y arrivent tout simplement pas? Évidemment, personne ne s’attend, en lisant ce billet, à obtenir la réponse universelle à la problématique du décrochage scolaire. Il y a possiblement autant d’études visant à en comprendre les causes qu’il y a de solutions envisagées. On travaille à diminuer la consommation de drogues, on essaie d’inculquer de saines habitudes de vie, on explore différentes stratégies pour mieux gérer le stress, etc. Bref, nous intervenons là où nous voyons des lacunes et où nous croyons pouvoir modifier certaines choses, mais, dans la plupart des cas, sans y voir d’impacts positifs sur le taux d’absence et le rendement scolaire.

Mais ce dont j’ai envie de vous parler, c’est cette idée du SENS qui est donné à l’école et qui est, à mon avis, trop souvent oublié par les professionnels du monde scolaire qui gravitent autour de ces jeunes. Lors de mes premières rencontres d’évaluation, je pose systématiquement la question suivante : « Plus tard, as-tu une idée de job que tu aimerais faire? » Et malheureusement, la réponse est trop souvent « j’en ai aucune idée » ou « je n’y ai jamais vraiment pensé ». Il y a certainement là un constat qui mérite réflexion. Posez-vous simplement cette question et tentez d’y répondre en toute honnêteté. Accepteriez-vous, si on vous disait simplement que ça allait être bon pour vous sans trop vous préciser les motifs, de passer 35 heures par semaine à trier des feuilles de papier selon si elles sont noires, blanches, de couleur pâle ou foncée, et ce, pendant des mois de temps sans en retirer un sou? Et bien moi, je vous confirme que la réponse est non! Quelle est donc la différence entre vous (parce que vous avez sûrement répondu la même chose que moi, sinon arrêter de lire cet article!) et ces jeunes qui doivent se battre pour retourner sur les bancs d’école? Ces jeunes qu’on marginalise, qu’on étiquette parfois trop rapidement de « lâches » n’arrivent tout simplement pas à trouver un sens dans le fait de se lever, jour après jour, pour aller s’assoir sur les bancs d’école. Ils ne voient pas en quoi ça leur sera utile.

Mais comment alors trouver ce fameux sens au retour à l’école? Avec les années (comme si j’étais vieux!), je me suis aperçu que la démarche d’orientation menant dans bien des cas à l’identification d’un métier avait souvent un impact crucial dans le parcours des jeunes que j’accompagne. Pour certains bien plus habitués à gérer les difficultés vécues au quotidien ou bien à ressasser tous les démons du passé, c’était l’occasion, pour une rare fois, de se projeter dans le futur. Se voir positivement dans un rôle aussi important que celui d’être un membre actif et significatif du marché du travail, ce n’est certainement pas rien pour bon nombre d’entre eux. La démarche d’orientation n’a pas simplement comme objectif d’aider les personnes à faire un choix professionnel. C’est aussi l’occasion pour elles d’apprendre à se connaître, de mieux cerner leurs champs d’intérêt, leurs forces, leurs valeurs, etc. Il m’arrive souvent d’obtenir de longs silences lorsque je leur demande en début de parcours de me nommer leurs qualités, mais lorsqu’il est question de parler de leurs défauts, ah ben là! Et à ça s’ajoute enfin LA bonne raison qui justifie la modification de certains comportements néfastes. En effet, lorsque le métier est trouvé et qu’il donne une lueur d’espoir à l’avenir, il va s’en dire que fumer 5 joints par jour et se coucher à 4 heures du matin tous les soirs, et bien ça ne fait pas tellement de sens. Tiens, tiens, encore cette notion de sens qui refait surface.

Je ne voudrais pas qu’on conclût à la lecture de cet article que j’en suis à prétendre que la principale avenue à considérer pour enrayer le décrochage scolaire réside dans l’élaboration d’une stratégie massive et collective de processus d’orientation pour tous les jeunes décrocheurs! Je souhaiterais toutefois qu’on accorde une attention toute particulière à ce point dans l’évaluation du jeune qui vient nous voir et dans l’élaboration de son plan d’action. Je crois qu’une erreur fréquente que nous commettons dans l’accompagnement des jeunes vivant des difficultés est d’intervenir presque exclusivement sur le passé et les situations difficiles du présent. Quelqu’un vous a déjà dit qu’on risque moins de renverser moins de liquide dans une tasse pleine lorsque notre regard fixe un point au loin plutôt que directement la tasse?

[i] Départ@9 est une mesure offerte dans tous les Carrefours jeunesse-emploi du Québec et s’adresse aux jeunes de 15 à 29 ans qui éprouvent des difficultés à trouver ou à conserver un emploi ou à persévérer dans leurs études. Par le biais de rencontres individuelles et de projets de groupe, Départ@9 permet d’améliorer les différentes sphères de vie du participant afin que celui-ci puisse réaliser son plein potentiel et atteindre ses objectifs de retour en emploi ou aux études.

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